Ces jours qu'on a presque oubliés
bio par V.Y.
« Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or. »
Et tu ne les lâches pas. A croire que tu as bu le lait de certain poète…
Cali debout devant une fenêtre, baigné par la lumière d’une fin de journée. Par la fenêtre, il regarde ce que nous ne voyons pas. La vitre renvoie son image et l’invite à l’introspection ? Regarder dehors ou regarder dedans, quelle différence d’ailleurs ?
Derrière lui, la tâche d’ombre a mangé presque toute la pièce excepté un carré de vieux parquet nu. Elle nous promet une belle part d’ombre et nous y aspire instantanément.
Le ton est donné.
La part de l’autre en soi : immense.
Mais quelle est la matière de ce bonhomme? Certainement un tissu d’êtres, d’histoires qui sont devenus lui au fil du temps. Sa multitude personnelle.
Chez lui, un désir incroyable d’abolition des frontières individuelles, une guerre déclarée à la peau, une immersion dans l’autre et en retour, une hospitalité totale de sa personne.
Et quand son ami perd le goût de l’eau, c’est lui aussi qui se dessèche. Cali sauve ou sombre avec (« Moi je suis rien sans toi » / Lâche pas).
Cet album est une immersion dans des moments forts vécus avec des êtres chers, des femmes essentiellement, parties, quittées, envolées… Toutes de précieux fantômes. Exprimer leur disparition est une façon de la conjurer, de continuer à dialoguer avec elles et surtout de les garder près de soi (« Tu sais tu m’as jamais quitté / Le soir t’es près de moi sur le canapé » / T’es où Lili). Ce n’est pas une chimère dans un monde au mieux absurde, au pire totalement vide….. (« À la télé, ils ont dit qu’ils savaient toujours pas qui a noyé le môme / C’est moche tout ça » … « Tu vois ce monde, je le comprends plus » / T’es où Lili)
Dans ces huis-clos, l’univers acoustique est intimiste et caressant. Nous sommes plus que de la confidence : nous sommes sur le vif, dans un instant critique, une scène de dénouement, nous marchons sur le fil, au cœur d’une crise (« Tu as embrassé ma main une dernière fois / Et puis tu es partie » / Comme un avion de papier).
Et quand, mordu trop fort, épuisé, Cali cède au découragement et trébuche (« Je suis fatigué de dire que tout va bien / J’ai le droit de pleurer ce soir, tu vois le cœur d’un homme même fou, ne peut porter tout ça » / Où vont-elles), dans un instinct de survie qui passe par un nouvel élan d’amour, il retrouve aussi sec le chemin qui mène à sa résurrection : c’est le corps de la femme, dont la possession est exclusive (« Il ne me reste que toi jusqu’au bout / Je ne regarde que toi / Ton corps brille rien que pour moi » / Pobrecita) érotique et nourricier mais surtout asile protecteur (« Cache-moi, cache-moi dans tes bras Probrecita / Ils m’ont fait trop de mal là-bas. » / Pobrecita), l’assurance d’une paix à venir (« Un jour nous oublierons tout ça » / Pobrecita).
Et, fort de cette nouvelle énergie, de ne rien abdiquer malgré les années qui passent : brûler jusqu’au bout, se consumer dans l’amour puisque c’est précisément le seul intérêt de la vie : l’incandescence. Et c’est l’apostrophe aux amoureux, priés de partager un peu de leur fièvre et de faire couler leur précieux or sur lui. (« Hey les amoureux / Faites-moi croquer les amoureux / Ma vie pour ces secondes / Où le cœur brûle entre vos doigts » / Hey les amoureux)
Et c’est encore le désir éperdu de l’âme sœur, celle qui s’émerveille comme lui des petites choses de la vie et prend sa joie de vivre à la même source (« Ma tête dans ton cou / Quand tu dis jusqu’au bout / Je tiens à toi, à nous / Je sais que toi aussi / Je sais que toi aussi » / Je sais que toi aussi).
Tu es une cathédrale de temps.
La mémoire involontaire fait remonter des souvenirs qui échappent de peu à l’oubli. On se laisse posséder par ce temps qui joue à cache-cache avec notre conscience. Et une histoire commence : la déambulation à trois sur un canot, la jeunesse. Le texte nous fait osciller entre la précision de certains détails qui découpe les événements au scalpel (« Le bec de la lune dans l’eau il fallait rentrer » / Ces jours qu’on a presqu’oubliés) et les zones d’ombres liées à l’oubli (« Il se peut que j’aie poussé le canot / Je n’sais plus si c’est lui qui a fait un signe le premier » / Ces jours qu’on a presqu’oubliés). On vogue bien dans un paysage incertain parce que lointain et presqu’oublié. La charge érotique est à son maximum, invités que l’on est à combler les manques avec la matière de notre propre pensée désirante.
La mémoire volontaire, elle, fouille dans les souvenirs et conduit à un questionnement existentiel : Qu’aurait été la vie « Si tu avais tourné la tête de l’autre côté » (Les larmes tombent sur mes manches) ?
On plonge dans un temps hypothétique qui est sans fond et sans bords. Les questions resteront sans réponse : « La vie aurait été une autre / Plus belle, je ne sais pas / Une autre parmi les autres » et « La neige qui s’accroche aux branches » (Les larmes tombent sur mes manches) demeure la seule réalité vraiment tangible.
Cali se livre, s’aventure sans filet dans la relation humaine. C’est un besoin vital. De la même manière, l’écriture de soi est sans fard, à cœur ouvert. Avec lui, on ne reste pas dehors, on fait vite connaissance, aspirés que nous sommes dans son intimité profonde. Et dans son paysage émotionnel, cette voix des profondeurs nous parle et renvoie l’écho de nos émotions propres. Le flux fonctionne.
Cali boit à la source. Il s’accroche à ses racines musicales et nous les livre, de Johnny Cash à Springsteen. L’Irlande affleure sous la surface. Le violon de Steve Wickham des Waterboys promène sa magie sur l’ensemble de l’album. Quelques mariachis inspirés illuminent des jours presque oubliés quand Pobrecita s’offre un country cajun déjanté voire foutraque. Et puis il y a Alain Souchon… Tout le monde aime Alain Souchon 😉 !
C’est dans son studio de Rivesaltes, chez lui, que Cali a enregistré cet album. Chaque morceau est le fruit d’une unique prise. Chaque morceau nous donne à entendre l’émotion originelle.
« Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard,
Où l’auguste Vertu, ton épouse encore vierge,
Où le repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : « Meurs vieux lâche, il est trop tard ! »
Mais il n’est pas encore l’heure et avec toi on est vivants.